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Historique du cours d’eau, phases importantes

 

La rivière Cheonggyecheon — signifiant « Clean valley stream » en coréen — est un ancien cours d’eau de 10,92 km. Elle s’écoule d’est en ouest du centre-ville de Séoul jusqu’à l’embouchure du fleuve Han. Dans son trajet, elle traverse des quartiers contenant une diversité de morphologies urbaines [Cho, M.-R., 2010, p. 145]. Épine dorsale de la ville, tant pour sa fondation, son évolution et sa transformation au cours des siècles passés, les fonctions multiples de cette rivière reflètent bien son importance. Utilisée autrefois comme système de transport et d’approvisionnement, elle représente toujours le principal système de drainage de la ville de Séoul. Bien qu’il soit souvent représenté comme une barrière ou une limite entre les différentes parties de la ville, ce cours d’eau renforce néanmoins le caractère distinct de chaque quartier le bordant. Le caractère hiérarchique et la dualité spatiale qu’il offre créent durant son histoire une barrière autant géographique que culturelle entre le sud (New-Town) et le nord de la ville (Old-Town). [Mariarinaldi, B., 2014].

 

Ce cours d’eau, au cœur de la ville, a été, au cours de son histoire, très souvent instrumentalisé par les différents acteurs politiques qui s’en sont servi comme un symbole du pouvoir et de fierté nationale. Alors que le premier projet de dénaturalisation de Cheonggyecheon date de l’empire Joseon, en 1406, les diverses transformations qu’il a subies par la suite ont causé plusieurs conséquences, tant au point de vue environnemental qu’au point de vue social.

 

Cette partie a donc pour but de démontrer historiquement comment cette rivière a évolué au cours des siècles derniers en tant qu’instrument du pouvoir, et cela, jusqu’au tout dernier projet politique, soit celui de la réhabilitation de ce cours d’eau qui s’était métamorphosé en une autoroute urbaine, en 1965. Pour ce faire, une analyse de cartes anciennes ainsi que de la morphologie de la ville et du cours d’eau selon les années sera faite, en lien avec le cadre théorique.

 

 

Morphogenèse de la ville

 

Fondation de la ville de Wiryseong (Séoul), 17e siècle av. J.-C.

Comme c’est le cas pour plusieurs villes à travers le monde, le cours d’eau Cheonggyecheon a été l’une des principales données physiques favorables à l’établissement d’une communauté à cet endroit. Emplacement stratégique pour la protection offerte par les quatre montagnes environnantes, la vallée a certainement été choisie pour sa proximité du fleuve Han et pour le transport et l’approvisionnement que promettait la rivière Cheonggyecheon [Noh, J.S. 2009]. Le peuple du Royaume Bekje a donc été le tout premier à s’installer dans cet environnement à la topographie distincte. Dès ses débuts, la rivière étudiée est devenue l’épine dorsale du développement de la ville, reflétant une fois de plus la relation puissante que peuvent avoir les humains envers les cours d’eau [Busquet, J., 2011]. 

 

Empire Joseon : fondation de la ville de Hanyang (Séoul), 1394-1910

L’empire Joseon, puissante dynastie coréenne qui a régné sur Séoul pendant près de 6 siècles, a choisi la ville de Hanyang (aujourd’hui Séoul) comme capitale dès 1394. Des fortifications d’une longueur de 17 km sont alors érigées et la construction du palais Gyeongokgung permet à la ville de s’afficher comme une nouvelle entité à part entière de l’empire Joseon [Busquet, J., 2011].

 

Projet de dragage de Cheonggyecheon, 1406 — premier projet politique

En 1406, le roi Taejon commande le premier projet de dénaturalisation du cours d’eau. Ce projet consiste à creuser et à soulever le lit de la rivière afin de transformer Cheonggyecheon en un système de drainage principal pour la ville, système qui est toujours la fonction principale de la rivière dans notre ère. Ce projet d’envergure emploie près de 52 000 travailleurs à travers le royaume [Cho, M.-R., 2010] et représente donc la première étape d’instrumentalisation du cours d’eau dans son histoire. Néanmoins, plusieurs conséquences néfastes surviennent après ce premier projet politique : la dénaturalisation du cours d’eau a tôt fait de créer des phénomènes cycliques, telles des inondations, causant des ravages et des conditions de vie insalubres, des crimes ainsi que du commerce illégal. 

 

Projet de rénovation du cours d’eau, 1760 — deuxième projet politique

Depuis la dénaturalisation de la rivière, les problèmes énoncés ci-dessus deviennent, au cours des siècles, des atteintes et des préjudices à la dignité et au pouvoir royaux. L’insalubrité, l’insécurité ainsi que la criminalité de la zone entourant la rivière doivent être éliminées. Ainsi, le 22e roi Yeongjo commande, en 1760, un projet de rénovation de ce cours d’eau, employant 200 000 travailleurs durant 57 jours [Cho, M.-R., 2010], créant de nouveaux ponts et remblais de pierre. Ce deuxième projet politique lui permet d’assurer sa dignité royale ainsi que la qualité de vie des citoyens dans les quartiers avoisinant le cours d’eau. Simultanément, le tissu urbain de la ville est morcelé par l'implantation de larges îlots réservés aux temples, pour qui la proximité avec le Cheonggyecheon accentue le symbole de pouvoir. 

 

Maxi-grille implantée dans la ville, 1830 — troisième projet politique

S’inspirant du style des Beaux-Arts et de Hausmann, en 1830, on instaure, afin d’augmenter la largeur des rues, une « maxi-grid » dans les alentours de la rivière; travaux de démolition extrême [Busquet, J., 2011]. Ce troisième projet politique qui consiste en la rationalisation de l’urbanisme autour de Cheonggyecheon a pour but d’augmenter la capacité des rues de cette ville en croissance démographique très marquée. Le résultat est néanmoins mitigé. Et l’urbanisme de la ville de Hanyang correspond plutôt à une grille hybride ou adaptée à la topographie distincte de la ville de Séoul.

 

Invasion japonaise, 1910-1945 — quatrième projet politique

En 1910, le Japon envahit la Corée et Séoul devient alors une ville coloniale. Alors que les Japonais s’installent au sud de la ville pour créer de nouveaux types de bâtiments, les fortifications sont détruites pour laisser place à une extension du territoire de la métropole. Cheonggyecheon crée dès lors une barrière géographique, sociale et culturelle entre le sud (Old-Town aux vieux bâtiments typiques des Coréens) et le nord de la ville (New-Town aux nouvelles typologies japonaises). Les palais, les bureaux gouvernementaux et les aristocrates se situent au nord, tandis que les gens plus pauvres, le prolétariat, les marchands et les soldats, vivent au sud de la ville. En 1930, une partie de la rivière est recouverte pour la transformer en égout souterrain [Noh, J.S. 2009]. Il s’agit donc du quatrième projet politique et ces transformations multiples de modernisation de la ville ont pour effet d’agrandir ses frontières et de modifier ses typologies comme sa morphologie.

 

Recouvrement de Cheonggyecheong, 1950 — cinquième projet politique

Après l’indépendance de la Corée en 1948, dans laquelle la ville de Séoul apparait comme la capitale d’un peuple libéré de son emprise coloniale, la guerre de Corée de 1950 à 1953 a tôt fait de détruire une grande partie des paysages urbains entourant la rivière. Ainsi, après la séparation du territoire de la Corée en deux zones distinctes, la ville de Séoul, nouvelle capitale de la Corée du Sud, doit être reconstruite. L’urbanisation très rapide de la ville, et la croissance démographique, ainsi que les nombreuses inondations cycliques transforment très rapidement la rivière en un égout à ciel ouvert [Mariarinaldi, B. (2014)]. Afin de redonner aux citoyens des conditions de vie salubres, le gouvernement décide de recouvrir complètement la rivière et de canaliser l’eau en conduits souterrains. La fonction principale de drainage est ainsi conservée, mais le contact avec la nature est brisé. Il s’agit donc ici du cinquième projet politique ayant transformé la rivière Cheonggyecheon. Le cours d’eau devient ainsi un égout, un établissement urbain soumis à des actes de planification. La reconstruction de la ville permet d'accentuer l'importance de la grille orthogonale et les îlots sont davantage redressés suite à la guerre. 

 

Transformation de la rivière en autoroute urbaine, 1965 — sixième projet politique

La forte croissance démographique (population passant de 2,5 millions d’habitants, en 1960, à 8,6 millions d’habitants, en 1980) [Busquet, J., 2011], l’urbanisation ainsi que l’industrialisation de la ville causent plusieurs problèmes d’ordre urbain. La zone commerciale à proximité de la rivière occasionne de plus en plus de trafic et de congestion automobile. Ainsi, le gouvernement décide de prendre parti du site abandonné de l’ancienne Cheonggyecheon afin de le transformer en un symbole politique du nouveau Séoul urbanisé. Il s’agit d’un exemple frappant d’instrumentalisation politique de l’ancienne rivière pour créer un symbole national fort. En fait, une cérémonie d’ouverture pour cette nouvelle voie représentant « Cheonggyecheon moderne » ou le nouvel urbanisme industrialisé de Séoul est même organisée. Cette voie de restructuration crée une immense cicatrice dans la ville et, en 1990, près de 170 000 automobiles y circulent chaque jour [Mariarinaldi, B. (2014)].

 

Projet de réhabilitation de la rivière, 2002-2005 — septième projet politique

Séoul se classe comme la ville mondiale de la modernisation, après avoir été l’hôte de plusieurs évènements, tels les Jeux olympiques en 1988 et la Coupe du monde de Soccer en 2002. Cette métropole apparait donc, en 2002, comme une ville post-développée et dont la priorité est la restructuration des quartiers en détérioration. En effet, la zone entourant l’autoroute urbaine est en dégradation et comporte plusieurs problèmes environnementaux et sociaux, notamment la piètre qualité d’air, la pollution sonore et les îlots de chaleur urbaine, ainsi que les problèmes de santé des habitants entourant l’autoroute. Alors que le quartier près de la rue Cheonggye apporte un sentiment d’insécurité, le nombre d’entreprises locales diminue et les habitants émigrent vers d’autres quartiers. Le nouveau maire Lee décide donc d’entreprendre un projet d’envergure pour réhabiliter l’ancien cours d’eau. C’est ce projet qui sera étudié dans les prochaines parties et il représente manifestement le septième projet politique d’instrumentalisation du cours d’eau, puisque le nouveau maire en a fait le sujet de sa campagne électorale et que son but était d’amener un nouveau symbole culturel, politique et social à la ville de Séoul, afin que cette ville se classe comme une ville à l’avant-garde pour ce qui est de son design urbain.

 

 

Cheonggyecheon comme un symbole de pouvoir

 

En bref, dans toutes les étapes de la transformation du cours d’eau, il est possible de comparer cette rivière à un objet physique résultant du pouvoir et de son idéologie, tant au point de vue royal que politique. Que ce soit durant la période de la dynastie Joseon, où Cheonggyecheon était la représentation du pouvoir royal, durant la période coloniale, dans laquelle les japonais désiraient étendre leur pouvoir et réorganiser de façon logistique la rivière, ou durant la période moderne, où l’autoroute est devenu le symbole du succès de la Corée pour sa modernisation urbaine, l’idéologisation de Cheonggyecheon indique l’achèvement de la dénaturalisation qui a persisté depuis le début du pouvoir humain. Comme l’affirme l’urbaniste Vicky M. Temperton : « Through its history as urban nature, Cheonggyecheon has represented how the power of the ruler is exercised through denaturalisation and the ideology of power is expressed through the resulting spectacle. » (Temperton, V.M., 2014)

 

Le projet de réhabilitation de la rivière qui sera étudié dans le cadre de ce cours est la poursuite de cette instrumentalisation. Que ce soit durant son processus ou par sa mise en œuvre, le maire Lee s’est servi en quelque sorte du projet pour obtenir encore davantage de pouvoir et le cadre théorique permettra de faire lumière sur la façon dont la rivière a été encore une fois utilisée comme un symbole.

 

Ville géomatique (1700). Source: Busquet

Ville des temples (1790). Source: Busquet

Ville orthogonale (1830). Source: Busquet

Ville coloniale (1937). Source: Busquet

Ville étendue (1958). Source: Busquet

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